Richard, je suis comme vous.

Danielle Lemaire
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March 16, 2023

Je m’appelle Richard et je suis paysagiste. À regarder l’espace que j’ai aménagé, on comprend tout de suite mon goût pour l’harmonie et la nature. J’ai installé un sapin de Noël à mes côtés, j’ai commencé à le décorer puis rapidement ce sont les passants ou des copains qui m’ont donné des boules, des guirlandes…
Mon coin est fait d’objets récupérés dans la rue, ce que je préfère c’est évidemment mon hellébore qu’un propriétaire indélicat a déposé sur le trottoir. Cette plante est aussi appelée « Rose de Noël », c’est d’actualité non ? C’est la seule plante à fleurir pendant l’hiver… Elle est installée devant moi et près d’elle je dispose des clémentines, des chocolats ou des bonbons et j’invite les passants à se servir.
Je suis sans abri, mais je suis généreux, j’ai le droit d’être généreux ! Je revendique haut et fort mon droit à l’humanité, j’interpelle les passants avec des messages écrits sur des planches, aujourd’hui : je suis comme vous… Un touriste vient de me demander ce que cela signifie ? Il comprend, me sourit, il prend en photo mon arbre de Noël et poursuit son chemin…
Parfois je ressens un besoin plus profond d’interpeler mon prochain et je fais intentionnellement des fautes d’orthographe, un jour une dame s’est arrêtée pour me demander de rectifier mon message, heureusement nous avons ensuite engagé la conversation, c’était le but recherché…
Dans certains moments de détresse mes messages peuvent devenir plus agressifs aux yeux de quelques-uns : Je suis humain et vous ? Les regards se détournent alors… Mais mon caractère jovial reprend vite le dessus, je cherche les sourires non les lamentations. Je cherche la compagnie de mes frères humains, car rien ne me fera perdre mon humanité.

Je m’en sortirai…

Je suis né à Paris le 5 décembre 1976 dans le 15e arrondissement. J’ai été placé à la DASS, il y a mieux comme démarrage dans la vie. J’ai eu du mal à me structurer et à 19 ans j’ai choisi de m’engager et plus particulièrement dans la Marine, car je voulais voir du pays. Au début j’ai trouvé mon équilibre auprès de cette nouvelle famille faite de frères d’armes, nous étions basés à Toulon, j’étais dans les commandos marine.
Puis il y a eu cette fichue guerre en Yougoslavie, j’étais trop jeune, j’ai vu trop de choses, trop d’horreurs… Le plus dur ce fut la bataille du mont Igman à Sarajevo, c’était en 1995, j’avais 19 ans… Il fallait briser le siège de Sarajevo, mais on s’est fait bombarder par nos propres troupes, plusieurs copains sont restés au tapis… Je n’ai pas supporté, ça m’a rendu fou, fou de rage… J’ai été réformé… À mon retour à la vie civile j’ai commencé à travailler comme paysagiste, mais je n’arrivais pas à me contrôler et j’ai rapidement été licencié, j’ai ainsi connu une première période de galère. Je suis resté 5 ans à la rue…

Je vais m’en sortir…

Je me suis relevé grâce à une dame, une simple citoyenne, qui m’a logé et m’a permis ainsi de retrouver un emploi. J’ai eu une vie banale avec un emploi, un logement (et une famille) pendant 13 années. J’ai même essayé de retrouver les parents qui m’avaient abandonnés mais là l’illusion a été de courte durée. On n’avait rien à se dire et de toute façon ils ne croyaient pas en moi. Je suis de nouveau à la rue depuis septembre, j’ai perdu mon emploi et les choses se sont enchaînées, un petit pas de travers et hop… la roue tourne. Je n’abandonne rien, je me bats, j’ai frappé à toutes les portes et j’ai retrouvé un emploi, je commence le 2 janvier. Ce ne sera pas facile, car j’ai construit une cabane dans le Bois de Vincennes, près de Nogent-sur-Marne et mon emploi se trouve à Massy-Palaiseau…

Je m’en sors…

Et quand je serai de nouveau installé dans la vie, je fonderai ma propre association. Elle viendra en aide aux sans-abris qui ont des animaux. Je ne me suis pas installé devant l’église Saint Roch par hasard. Saint Roch est le protecteur des animaux. Je veux protéger les animaux, mais les hommes aussi. À Paris quand on appelle le 110, une équipe vient rapidement enlever les animaux, mais les hommes ? On ne devrait pas séparer les animaux et leurs maîtres. Ils sont liés par un lien indéfectible, celui de l’amitié et de la fidélité.
Lundi soir pour le Réveillon je vais dresser une table juste ici, quelques copains ont déjà accepté l’invitation. Tous ceux qui le veulent seront les bienvenus ! Venez partager mon repas !

Richard vous attend, il a le plus généreux des sourires et vous offre le peu qu’il a… et vous qu’êtes-vous prêt à offrir ?