Elias : « La nature, c’est mieux que les gens »

Noulé Egbelou
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March 16, 2023

Le 16 octobre, La Rue Tourne est partie à la rencontre d’Elias, un jeune tunisien de 27 ans, à la rue depuis 2015. Il vit au centre de Paris dans un petit camp de tentes dissimulé par les travaux. Ce jeune homme au grand sourire est connu comme étant l’heureux propriétaire de la tente au joli parterre de fleur.La rencontre avec Elias s’est faite dans un grand jardin du centre de Paris, lors d’une journée ensoleillée. Avec son petit café à la main, il tente de se remémorer ses choix de vie qui l’ont conduit des terres de sa Tunisie natale jusqu’à ce moment avec nous. Comme beaucoup d’immigrés, partir n’a jamais été un rêve, plutôt une nécessité. En Tunisie, il a eu un diplôme en biomédical, mais il ne trouvait pas de travail. Après s’être interrogé sur son avenir, il commence à songer à émigrer. « Je n’avais jamais pensé à venir en France ou même en Europe, mais c’était mort. Il n’y avait rien là-bas », explique-t-il. Des gens lui vantent les mérites de l’Europe et la décrive comme étant l’Eldorado, le paradis de l’émigré. Elias se laisse séduire. « Les gens qui vivent ici (en France) et vont en Tunisie ne sont pas les mêmes », raconte-t-il amer. « Ils disent qu’ils sont au paradis ici, donnent leurs coordonnées, mais après (quand tu arrives en France, ndlr) ils changent de veste. Il n’y a plus personne. » A l’époque, sa famille était contre son départ, mais il a préféré partir. « J’ai choisi ma vie et il fallait que je bouge ».

La traversée

Pour arriver jusqu’ici, Elias a traversé bien des choses, à commencer par la mer Méditerranée. Il est parti des côtes tunisiennes en pleine nuit, à bord d’un petit bateau, avec quarante-cinq personnes à bord. « Je pensais que le bateau serait plus grand, mais il n’était fait que pour trente personnes », commente-t-il. Mais après avoir payé la traversée mille euros, difficile de faire marche arrière.Le voyage ne devait durer que douze heures, mais ils leur ont fallu quatre jours pour arriver aux côtes européennes : « Les passeurs nous avaient donné de fausses coordonnées. On s’est retrouvé à la frontière entre la Libye et l’Egypte », explique Elias. Ne voulant pas revenir en arrière, ils se relancent en mer. « Le bateau gonflait, l’eau rentrait » explique-t-il et cette crainte qui ne le quittait pas : Et si le moteur s’arrêtait ? « On ne pouvait pas boire, ni manger. On avait juste des pâtes des sèches. Tout le monde était en train de vomir à cause du mal de mer » décrit-t-il comme s’il revivait chacun de ces instants.Après quatre jours de longs périples, ils arrivent enfin en Italie à Lampedusa. Cela pourrait marquer la fin de ses aventures, mais pas du tout. Il prend un bus jusqu’à la ville de Bari, puis emprunte un TGV pour atteindre Milan. Le train est contrôlé, mais comme il a sur lui un billet, il réussit à arriver à destination. Ensuite, il prend un bus jusqu’à la ville de Vintimille. De là, il parcourt à pied l’équivalent de douze kilomètres en quatre heures pour arriver enfin en France, dans la ville de Menton. Il est arrivé dans les environs de sept heures du matin, à bout de souffle. Il prend de nouveau le TGV, sans se faire prendre, jusqu’à Lyon. De là, une voiture accepte gentiment de l’amener jusqu’à Paris. « Après, ça a commencé… », commente-t-il, se référant à sa vie de sans-papier, puis de sans-abri dans la métropole parisienne. Il est arrivé dans l’hexagone pendant l’hiver de l’année 2010. Il a travaillé au noir pendant des années, puis la situation a changé. « Les contrôles du travail au noir ont augmenté et les patrons ont commencé à avoir peur. » Aujourd’hui, Elias est totalement désabusé. Cela fait depuis 2015 qu’il vit dans la rue. Aucun employeur ne veut l’embaucher parce qu’il est en situation irrégulière.Il a un oncle qui vit à Rennes et pas mal d’amis à Paris. Personne ne sait qu’il vit à la rue. « Quand tu me vois, on dirait que je vis dehors ? » nous interroge-t-il. Pas du tout effectivement. Le jeune homme aux yeux bleus verts ressemble à « monsieur tout le monde ». Un style plutôt urbain, de belles chaussures Nike… Difficile de se douter de quelque chose. D’ailleurs, Elias fait toujours très attention pour que cela ne se voit pas. Il rencontre généralement ses amis dans des cafés.« Être dans la rue, ça ne me fait même pas peur. Le pire, je l’ai déjà vécu. » Dans ce petit bateau, entouré de personnes effrayées, affamées et malades, avec ces grandes vagues qui manquaient de les faire chavirer, ces pluies qui les faisaient couler et les animaux marins qui les guettaient, Elias a bien cru voir sa fin arrivée. « J’ai un voisin qui est parti lui aussi. On ne l’a jamais retrouvé », raconte-t-il, reconnaissant d’avoir pu en arriver jusqu’ici.