Fred, libre comme l’espace et vrai comme l’instant.

Said El Abadi
/
March 16, 2023

La Rue Tourne poursuit sa rencontre avec ceux qui font la rue. Il y a quelques semaines, nous avions rendez-vous avec Fred dans le 13 e arrondissement de Paris. Au programme : bonne humeur, musique et cours linguistique.

« Salam alaykoum, todo bem brother ? Ciao mi hermano. » De l’arabe, du brésilien, de l’italien, de l’anglais, de l’espagnol en une seule phrase. D’entrée, le décor est planté. L’après-midi, grisée par les gros nuages et la fraîcheur des températures, s’annonce finalement des plus chaleureuses. Pas étonnant lorsque se présente à vous ce gaillard qu’est Fred. Agé de 42 ans, ce blond vénitien est aussi à l’aise avec toutes les langues que les personnes qu’il croise. « Sauf les cons, précise-t- il. Et ils sont nombreux ceux-là. »

Cet amateur de rap français – « à l’ancienne comme Assassin, pas les pseudos rappeurs 2017 », tient-il à préciser – et de ska notamment est une personne authentique. D’humeur et d’apparence joviale, il aime discuter et prendre le temps de connaître les personnes. « Je crois en l’humain. Même dans le mauvais, il y a toujours quelque chose à sortir », explique-t- il.

"J'ai du parcourir au moins huit millions de kilomètres"

Mais attention, ce père de famille (il voit son fils de temps en temps) n’est pas un doux rêveur. Il ne faut pas non plus le chercher. Par le passé, cela lui a d’ailleurs valu des passages en garde à vue et des séjours derrière les barreaux. « Mais je me suis calmé depuis, c’est terminé tout ça, tempère Fred. Ça c’était avant quand je me défoulais et qu’on me provoquait. Bon, c’était aussi à l’époque où j’aimais défendre la ville des fachos. Je me régalais avec mon frère et mon groupe d’amis. »

D’origine irlandaise et napolitaine, ce « titi parisien » fait en effet de l’urticaire lorsqu’il croise des racistes. Et a longtemps fait partie d’un groupe de « justiciers » qui voulait nettoyer les rues parisiennes des skinheads. « Ces gens ne servent à rien. Ils ont une haine des autres et des étrangers. C’est un virus et nous on était les vaccins. » Fred a horreur des personnes qui s’enferment et ne s’ouvrent pas au monde. Encore plus aujourd’hui à l’heure où tout est possible. « Regardez-moi, je n’ai rien et pourtant j’ai voyagé plus de fois qu’un grand nombre de personnes, lance-t- il. J’ai dû parcourir au moins huit millions de kilomètres.» Il faut dire qu’entre l’Allemagne, la Grande Bretagne, la République Tchèque, le Brésil, l’Italie, Fred a pas mal de vécu. Mais sa fierté reste de connaître Paris comme le fond de sa poche. « Je suis arrivé à Jaurès, je dormais avec les Afghans, je suis même dans le canal de l’Ourcq. Ensuite j’étais à Montreuil puis j’ai atterri dans le 13ème.» Cet arrondissement, il l’aime. Il y est tous les jours et il connaît presque tout le monde. « Lui, c’est un grand malade. Il a carrément pété les plombs. Il parle tout seul et peut frapper dans un mur à tout moment », explique Fred en voyant un autre sans-abri traverser la route.

"L'alcool, un gros problème pour moi"

Fred connaît tout mais voit aussi de tout. Et souvent le pire comme il le rappelle. « La rue c’est violent, lance ce père de famille (un fils qui mesure 1m98 et qu’il appelle « mon petit »). Ce qui me dérange le plus, ce sont les filles dans la rue. Il y a des gens mal intentionnés et qui viennent les agresser à tout moment. » Et parfois, il n’hésite pas à venir en aide aux femmes qu’il croise.

Fred un bon samaritain qui vous veut du bien et qui dit ce qu’il pense des gens. Mais pas que des autres, Fred aime faire sa propre critique. « Je sais que j’ai raté beaucoup de choses dans ma vie », aime-t- il confier. Il note d’ailleurs un gros point négatif qu’il souhaite soigner : l’alcool. « C’est un gros problème pour moi. J’essaie de m’en débarrasser mais je dois faire encore plus », explique Fred.

15h45. Après près de deux heures d’échanges enrichissants entre explications des guerres de rue, de répertoires musicaux et de géographie, il est déjà temps de mettre un terme à notre entretien, à notre plus grand regret. Mais l’envie est déjà forte de vouloir retrouver cette encyclopédie humaine. En espérant que vous ressentez la même chose désormais…